❝long time no see ━ ft. milhan

Générosité et Partage.
Deux principes inscrit sur une liste de bonnes résolutions, celle de Felix. C’est l’année du changement et de la renaissance. L’année où il deviendra enfin, la meilleure version de lui-même.
Alors, il y travaille et se le récite comme un mantra.

Troquer les godemichés pour les crèmes hydratantes devait témoigner de sa détermination. Bien loin de ressentir la moindre once de honte, la lassitude, elle, grandissait à vue d’oeil. Décision qui avait entraîné son lot d’avantages. L’un d’eux, aujourd’hui dans le sac qu'il a choisi pour arpenter les rues de Pittsburgh.

C’est un présent pour son Tonton. La personne qu’il remerciera toute sa vie.

La journée est presque parfaite, avec un temps presque parfait et une température presque parfaite. Il fait gris, alors presque, c’est le mot. C’est avec ce presque que Felix vit souvent. Jamais tout à fait à l’abri, jamais tout à fait serein.
Surtout ces temps-ci, lorsqu’il met le feu à ses boucles pour atteindre cette blondeur artificielle qui détruit la sanité de sa chevelure. Connerie assumée, il trouve que ça lui bien, ses parents beaucoup moins. Les piercings avaient déjà reçu un accueil mitigé.
Qui sait comment vivront-ils ses prochaines excentricités ?

❝Don’t touch my hair hoe or my chinchilla coat ♫,
Sirotant son latte, sous couverture derrière ses solaires -soleil ou pas, c’est le style qui prime-, son téléphone hurlant à tous des insanités rythmés depuis sa poche arrière, laissez lui encore une minute dans ce bus et le démon du voguing viendra le posséder.

C’est avec grâce qu’il s’extirpe de là, descendant à l’arrêt le plus proche de la maison de son oncle. La fin du chemin est plus mouvementée, moins de spectateurs pour l’enquiquiner. Il est dans sa bulle et personne n’a intérêt à toucher ses cheveux.
La musique est rapidement mise en pause en arrivant devant la porte. Elle est entre-ouverte. Felix zieute l’heure sur son écran, il est en avance, donc c’est très louche.

Ses lunettes quittent ses mirettes, il jette un oeil à l’intérieur et retient son souffle au moindre bruit. Quelqu’un est à l’intérieur, c’est certain. Doucement, il se glisse à l’intérieur, passe l’entrée et repère une silhouette de dos dans le salon. C’est pas Tonton et encore moins le fiancé de Tonton. Une chance qu’il ait opté pour des Converses aujourd’hui, bien plus pratique pour jouer les ninjas.
Son coeur cavale. Il pose sa boisson et saisit le premier vase qu’il croise, s’avance jusqu’à être à bonne distance. Et là, avec la force d’un puissant chihuahua, fait sonner la porcelaine sur la tête du cambrioleur qui fouille sans vergogne les affaires de sa famille.  

❝Oh merde!, ses yeux s'écarquillent et manque de quitter leurs orbites. Milli!, pendant trois bonnes secondes, il ne sait plus respirer.
De gestes ralentis, il repose le vase et grimace. Qu’est-ce qu’il vient de faire à son frère ?

Son frère ?
Qu’est-ce qu’il fait là son frère ?

❝Qu’est-ce que…, mais le temps n’est pas aux questions. Certes, le coup a manqué de force, mais ne le privera pas pour autant d’une jolie bosse. Bouge pas!
Felix fait tomber son sac et sa veste au sol, trottine jusqu’à la cuisine et se sert dans le congèle. Un sachet d’haricots verts. Heh, pourquoi pas ? Quand il revient, il incite Milhan à s’installer sur l’un des fauteuils et s'accroupit près de lui, les bras croisés sur l’accoudoir.

La question se pose encore, mais ne sort pas. Le plus jeune des Temple se satisfait pour l’instant à l’observer. Trop de jours sont passés sans qu’il n’en ait eu l’occasion. Alors, il le regarde, en proie à la douleur, son sac de légumes congelés contre la tête et il sourit, euphorisant à l’idée de retrouver l’un de ses repères.

La confusion a prit une place tellement importante qu’elle est palpable dans tout le salon. Bien qu’il n’y soit pas tout à fait imperméable, Felix l’ignore royalement. Un sentiment plus puissant l’a tué à la seconde où il a reconnu Milhan. Il en oublie même de lui en vouloir. Chose qu’il fait depuis ces six dernières années en dévisageant les couvertures de magazines exposant celui-ci.
L’absurdité d’une première question le laisse perplexe, un sourcil froncé.

❝Tu déconnes?
Son ton léger a de quoi surprendre, le plus jeune s’autorise même à ricaner. L’instant est si surréaliste que son attitude suit le même schéma. Le choc l’a entraîné dans un univers chimérique dont-il ne s'échappera pas sans aide.

Un tas de conneries veulent passer la barrière de ses lèvres. Il veut comprendre. Tout comprendre. Depuis le jour de leurs adieux. Que son frère fasse l’effort de se remettre rapidement de ce coup accidentel et qu’il passe aux aveux.

Spontanément, il saisit le poignet de Milhan. Ce bras le gêne, il ne peut pas voir son visage et ça l’agace. Aussi son instinct veut s’assurer qu’il est bien là avec lui, qu’il est tangible. Sa rêverie s’en voit troublée. Dans un songe, les plus petits détails interpellent et ce visage n’éveille aucune nostalgie. Il le connaît sans le connaître, comme quand il le voyait sur papier glacé et qu’il réussissait parfois à se persuader qu’il ne s’agissait pas vraiment de son grand-frère.

❝Mil-, le reste se perd dans sa gorge. L’atmosphère s’est encore alourdie, Felix est pétrifié. Là où Milhan le reconnaîtra, c’est qu’il a toujours eu la larme facile, pour une petite chute ou un caprice d’enfant. Aujourd’hui ne fait pas exception.

Ses deux grandes billes bleues s’irritent et s’humidifient. Cependant, il ne lâche rien et lutte pour ne pas que ces gouttes salées se mettent à couler, pinçant ses lèvres comme s’il tenait là, la valve à ne surtout pas desserrer.
Le chaos s’empare de lui, il ne sait plus s’il est en colère ou submergé par la tristesse, parce qu’il regarde son grand-frère, mais ne voit rien d’autre qu’un étranger. Celui qui leur a dérobé l’a dévasté. Il leur est revenu misérable.

❝J’suis...désolé…,
Désolé de ce qu’il lui est arrivé, désolé d’avoir cessé de le contacter, désolé de ne pas avoir réussi à convaincre leur père de lui accorder une chance de se rattraper, désolé d’avoir lu tous ces articles sans tenter une seule fois de le raisonner, désolé de lui en avoir autant voulu et désolé pour cette bosse sur sa tête. Par où commencer ?
Il inspire bruyamment, le nez partiellement coulant, et retire enfin sa main pour la passer au coin de son oeil.

Le jour où leur père pris la décision de couper les ponts avec Milhan, c’était comme si on lui avait dit qu’il ne reverrait plus son frère. Peut-être qu’avec le temps, il s’était fait à cette idée, parce que le choc était si grand aujourd’hui qu’il s’en retrouvait presque sans voix. Lui qui d’habitude ne pouvait pas se retenir de l’ouvrir à tout va, était là, silencieux, contemplant les dégâts du chemin qu’avait emprunté son aîné. Et dire qu’à l’époque il l’avait presque envié d’être aussi libre de ses actes, qui sait où il aurait terminé lui, s’il était parti.
L’effort est surhumain, mais il réussi presque à ne pas fondre complètement en larme, pinçant sévèrement ses lèvres. Déglutir devient plus difficile, il a cette boule dans la gorge qui ne veut pas se dégager et plus il doit faire face à Milhan, plus elle devient encombrante.

Felix secoue vivement la tête, en complet désaccord avec les excuses qui lui sont présentés. Pas tout à fait, il sait qui a sa part de tors dans cette histoire, mais il n’a pas du tout envie de voir Milhan s’excuser. Pas dans son état. ❝N-non...non. Non- Tu- T’as pas à-...Laisse… on s’en fiche-
Avoir autant de mal à s’exprimer clairement, c’est tellement étrange. Même avouer toute la vérité à ses parents n’avait pas été aussi difficile. Peut-être parce qu’il avait eu le temps de se préparer? Ici, il était pris de court. ❝On s’en fiche...ok? Une affirmation tremblante d’hésitation, appuyée par un regard désemparé.

A sa demande, il prend une grande inspiration, ravalant toutes ses larmes d’un coup, finissant dans un sourire douloureux. Pour essayer de se rassurer, il tente un nouveau contact avec son frère, cette fois pour lui prendre la main et peut-être lui offrir un peu de réconfort.
Tout va bien, il est en vit. Sa main est chaude. Maintenant, il doit simplement rester concentrer dessus et ne plus lever la tête et risquer de croiser de nouveau son regard. Parce qu’il le sait, si jamais il voit encore Milhan dans ce triste état, il ne pourra plus se retenir. Tenir sa main entre les siennes le calme un peu et l’aide à digérer tout ça.

Inconsciemment, sans doute également une tentative de le retenir, l'empêcher de fuir encore une fois. Ce qu'il aurait dû faire avant tout ça, ce qu'il regrettait de ne pas avoir fait. Tout ça avait changé. Felix a changé. Il a grandi, il a appris. Il sait ce qu'il veut maintenant. Qu'un autre stupide acteur bidon tente de venir faire du tors à son frère pour voir!

Son frère qui lui aussi a changé. Du moins, physiquement, il a beaucoup changé. Il aurait aimé pouvoir le constater autrement, un jour où il serait libéré de cette dépendance trop visible. ❝J’espère que je t’ai pas fait trop mal… Felix étouffa un rire nerveux en repensant à l’incident du vase, puis posa son front contre le bras qu’il avait encore sur l’accoudoir, cachant à son tour son visage. On lui en demandait trop. Comment était-il censé faire bonne figure? Contrôler et faire taire ses émotions? Impossible.
❝Je p-pleure pas… t’en fais- t’en fais p-pas...Bien qu’on l’entende clairement chouiner, ses épaules secouées par de micro spasmes.