❝and we all rise ━ ft. andrew

Liberty Avenue abrite bon nombre de bizarreries, certaines plus étranges encore. C’est ce qu’on dit du coin de Felix, de sa boutique. Qu’il s’y passe des choses pas nettes. De l’autre côté de l’avenue, les regards suspicieux n’ont cessé depuis l’ouverture. Une aubaine pour lui car, malgré elles, ces mauvaises langues ont porté le bouche à oreille bien mieux qu’il ne se serait donner mal à le faire.
Deux ans que ce drôle de commerce avait vu le jour et les affaires allaient bon train. Très souvent berceau d’évènements divers et variés, transformant simples curieux en amateurs.

On y trouve toujours son compte, à croire qu’une fois la porte passée, l'envoûtement opère et force à la fascination et à la soif de savoir. C’est peut-être à cause cette musique qui se joue en fond, oscillant entre chants chamaniques et mantra, rythmes tribaux, psychédélisme, flûte amérindienne ou influences celtiques. A moins que ce soit dû aux reflets apaisant des cristaux baignés de soleil sur les murs couverts de tapisseries.
Ou bien n’est-ce là que le charisme des propriétaires, magnétisant chaque client, comme des mouches prises au piège dans leur toile.
Bien que très souvent pointé du doigt par les autres commerces, comme étant un couple de satanistes à la tête d’une secte, il n’y a qu’en pénétrant cet antre du mysticisme que l’on peut soulever la vérité.

Celle qui est cachée derrière les tentures.
Ou celle qui réside à l’intérieur de chaque individu.

Le son des carillons à l’entrée interrompt Felix, au téléphone depuis l’arrière boutique. Il a l’endroit pour lui tout seul aujourd’hui, son associée est de congé. Sans lever les yeux de son écran, il passe le rideau de perle délimitant l’espace commercial et l’intimité du reste de leurs activités. Des automatismes l’emmènent droit derrière le comptoir tout en répondant à un sms, une sucette en bouche.
Manquant probablement de professionnalisme, il est tout à fait conscient que son naturel peu déranger, mais c’est sa façon de faire. Et puis c’est sa boutique. Pourquoi se priverait-il de profiter du fait qu’il est son propre patron ? De toute manière, il n’y a qu’en étant lui-même qu’il réussi à se sentir proche de ses semblables et tout autre forme de vie.

D’un bref regard il perçoit à peine l’image de cette silhouette inconnue qui part se dissimuler dans l’espace librairie. Son téléphone est abandonné près de la caisse et lui fil déjà longer la bibliothèque. Il ne peut s’empêcher d’aller à la rencontre d’une nouvelle âme qui passe sa porte.

Sa tête apparaît au bout du rayon, comme un animal qui sort de son terrier. La surprise est son émotion favorite, surtout lorsqu’elle est provoquée par sa spontanéité. Parce que durant un quart de seconde, elle transparaît clairement, impossible à contrôler ou appréhender. C’est ce moment inoffensif où l’on perd les rênes, une courte et douce liberté loin de sa conscience.

La sucrerie quitte sa bouche alors qu’il sourit gaiement.

❝J’peux t’aider?,
Evidemment qu’il tutoie ses clients. On s’est déjà tous rencontrés dans une vie antérieure, faire des manières serait déplacé. Pourtant, il devine déjà, par son langage corporel, que ce client là, ne saisira pas cette subtilité.

Quand vous prenez la décision de changer de vie, de vous faire violence pour ne plus être cette personne que vous détestez de plus en plus et bien vous cherchez des solutions et ces solutions peuvent être cherchées dans tous les domaines. C’était exactement le cas pour Andrew qui ne pouvait plus continuer en étant l’homme qu’il était aujourd’hui. Il avait accepté sa condition depuis bien trop longtemps maintenant et en faisant un bilan de sa vie lors de son vingt-septième anniversaire, il avait pu se rendre compte que sa vie était tout simplement ennuyante à mourir et que s’il n’avait pas son travail et bien finalement, il n’avait rien accompli de sa vie. Du coup, il avait pris une décision en soufflant les bougies de son gâteau enfin tout du moins, il avait fait un voeu, celui de devenir un nouvel homme et de s’accomplir à présent en tant qu’homme et dans la vie intime, pas dans son travail. Il se refusait de croire qu’il allait finir sa vie seul avec une dizaine de chat pour lui apporter l’affection qu’il méritait. En tout cas, il en avait assez.

Le comble dans tout ça, c’est qu’Andy est une personne à haut potentiel intellectuel et que malgré cette intelligence hors norme, ce don qui avait fait qu’il avait rapidement gravi les échelons, et bien il n’arrivait pas à comprendre pourquoi il bloquait de la sorte et pourquoi il était handicapé dans les relations humaines. Il détestait ne pas trouver la réponse par lui-même. Pour la première fois de sa vie, quelque chose lui résistait et cette chose et bien c’était sa personne toute entière. En tout cas, il fallait qu’il trouve une solution et il espérait la trouver assez rapidement. Il se connaissait très bien et il savait qu’il finirait par se décourager et replonger encore plus dans cette solitude qui le fait tant souffrir.

Il avait entendu parler d’une boutique un peu spéciale dans le genre ésotérique qui lui permettrait peut-être d’en apprendre un peu plus sur lui et peut-être qu’il arriverait à s’ouvrir plus facilement aux autres. Et puis, quand on est désespéré et bien on cherche dans tous les domaines mêmes les plus fous pour avoir des réponses. Il était donc entré dans cette boutique et une fois la porte fermée derrière lui, il fut rapidement mis dans le bain. L’univers de cette boutique était particulier et il pouvait même impressionné. Il prit donc la direction du côté librairie de celle-ci. Il préférait déjà se pencher sur quelque chose de tangible et qu’il pourrait peut-être comprendre plus facilement. Il était donc en train de parcourir tranquillement les rayons lorsque le vendeur fit irruption pour lui demander s’il pouvait l’aider. Andrew avait été surpris et il n’avait donc plus s’empêcher de sursauter.

« - Excusez-moi… Vous m’avez surpris… Et bien, je cherche à me comprendre plus en… profondeur… et du coup… je me dis que peut-être cette boutique… pourrait m’aider… »

Andy était gêné et ne savait trop comment il pouvait expliquer encore plus son problème de confiance en lui et tout ce qui pouvait s’en suivre…

C’est plus fort que lui. Felix a déjà débuté son observation.
Certes il écoute, hoche la tête, fait mine d’être attentif à la requête qui lui est présentée, mais il n’en est rien. Sa concentration s’est perdue à mi-chemin. Son regard scanne l’individu à la recherche du moindre détails, sans lui laisser le temps de s’exprimer, il veut déjà tout savoir. Persistant, indiscret et tout à fait déplacé, c’est ainsi qu’on décrit cette façon qu’il a de fixer les gens. Une description qui ne lui convient pas.

Felix aime s’épanouir en observant. Alors c’est ce qu’il fait.

Ce qu’il voit aujourd’hui vient rapidement l’irriter. Ce qu’il attend, c’est que le monde rayonne mais, l’homme devant lui n’émet absolument rien. Aucune chaleur. Aucune lumière. Il est aussi terne que son chandaille. Même dans la surprise, il est resté sur la retenue. Comme si son expressivité s’était figée derrière sa conscience, incapable de s’exprimer librement.

Dans une pirouette, il sort de sa cachette, se présentant enfin complètement. Sans attendre, le vendeur se met à envahir son espace personnel, sa sucette de nouveau en bouche, il attrape la main gauche de son client. C’est vraiment étrange et il le sait, mais il veut savoir si elle est moite ou tremblante ou les deux, c’est important. Si son énergie est perturbée et ne circule pas correctement, c’est le genre de chose qui peut arriver.

❝T’es mal à l’aise parch’que t’aimes pas qu’on t’tienne la main... ou parch’que che sh’rait pas correct d’apprécier ch’contact v’nant d’un inconnu?, marmonne Felix, gêné par sa sucrerie, explorant cette paume de ses doigts. ❝T’inquiète… j’voulais juste checker tes lignes!

Un mensonge si bien trouvé qu’il n’était qu’à moitié faux. Avant de le lâcher, il a eu le temps de s’adonner à une brève lecture, juste assez pour confirmer ce dont il se doutait déjà.

❝Faut arrêter de se reposer exclusivement sur lui,
Encore plus furtivement que lorsqu’il s’est accaparé sa mimine, son index vient pointer tactilement son front. ❝T’es entrain de l’épuiser.

Le souvenir d’une conversation avec son associée lui revient, elle lui rappelait souvent qu’il n’y avait pas grand monde pour comprendre son charabia. Communiquer clairement ses idées, ce n’est pas son fort.

❝Ok, oublie ça. Hm... On a toute une étagère sur le développement de soi. Si c’est ce qui t'intéresse!
Nouvelle pirouette, il se retrouve dos appuyé à la bibliothèque -une chance qu’elle soit bien fixer au sol, mesure de sécurité face à sa catastrophique maladresse-, ses deux index pointant au dessus de sa tête, la fameuse étagère.

L’étincelle curieuse dans le regard de Felix se remet à briller. Il sait que ces bouquins parleront bien plus à cet homme que tout ce qu’il aurait pu lui proposer, que ce sera plus rassurant pour celui-ci. Malgré tout, il espère que peut-être de nouvelles questions surgiront. Lui aussi, veut être surpris.  

Venir dans ce magasin était son ultime espoir de changer de vie. Pourtant, lorsqu’il vit arriver le vendeur, qui était tout de même venu par surprise et qui lui avait fichu la peur de sa vie, Andrew s’était dit que c’était une bien mauvaise idée. Mais c’était maintenant bien trop tard pour rebrousser chemin. Le jeune homme s’était tout de même excusé d’avoir sursauté. Après tout, il était dans un magasin et il devait donc se douter que quelqu’un viendrait à sa rencontre pour lui venir en aide ou pour tout simplement essayer de lui vendre quelque chose. C’était quelque chose de normal dans une boutique après tout. En tout cas, le vendeur ne s’en était pas formalisé et il avait repris la parole avec sa sucette à la bouche tout en lui prenant la main. Ce contact avait eu le don de le mettre mal à l’aise. Il n’avait pas l’habitude des contacts humains. C’était un contact dirons-nous obligatoire, puisqu’il voulait observer les lignes de sa main. Andy n’avait jamais vraiment compris la signification de ces lignes et surtout qui avait décidé de la signification de chacune d’entre elles. En attendant, il l’écouta attentivement dire qu’il fallait qu’il arrête de trop utiliser son cerveau et sa matière grise parce qu’il finirait par le fatiguer.

« - Je dois bien l’avouer, je suis un cérébral et je me pose énormément de question. Je tente de m’améliorer et de moins réfléchir et de laisser plus de surprise entrer dans ma vie… Mais ce n’est pas toujours facile. »

Le vendeur venait de lui dire d’oublier ça mais c’était déjà bien trop tard. Maintenant, il était en train de réfléchir à ce qu’il venait de dire. Il avait ensuite repris la parole pour lui dire qu’il y avait tout une étagère sur le développement de soi. C’était peut-être ce qu’il lui fallait. Mais il avait très certainement besoin de conseil et d’aide. Après tout, ce jeune homme déluré était vendeur ici, ce qui voulait dire qu’il y a connaissait quelque chose. Donc pourquoi ne pas lui demander de l’aide.

« - Et bien que me conseillerez-vous ? Après tout, c’est votre domaine et comme je vous ai dit, je suis légèrement perdu et du coup j’aurai bien besoin d’un petit coup de main. »

Andrew n’y connaissait rien et les conseils et l’aide de ce vendeur seraient donc les bienvenus.

Faire de la psychologie n’avait rien d’effrayant, mais ce n’était vraiment pas ce que préférait Felix. Bon certes, il était super bavard et appréciait découvrir les tracas de la vie de ses clients pour les conseiller, mais plutôt comme un ami qu’un vrai psy. Sa démarche était bien souvent des plus indiscrète, il n’arrivait simplement jamais à se tenir lorsqu’on commençait un peu à se confier à lui. Ce n’était pas dur de se laisser prendre au jeu, il avait le chic pour mettre à l’aise. C’est peut-être pour cette raison qu’il ne faisait pas énormément de ventes lorsqu’il gérait la boutique à lui tout seul.
De son point de vue, il était bien plus important d’être à l’écoute de la clientèle pour la fidéliser que d’attendre patiemment qu’on se décide à leurs acheter quoi que ce soit.

❝J’pense qu’un bouquin te correspondrait bien alors… Visiblement, Felix était un peu trop brusque dans son approche. Adapter son comportement à la personne face à lui n’était absolument pas dans ses habitudes. Il était bien plus adepte du fait de se montrer toujours au naturel et si ça plait tant mieux, sinon peu importe. ❝Mais j’avoue que côté surprise, ça risque d’être un peu décevant. Tu dois déjà pas mal bouquiner durant ton temps libre. Une remarque un peu maladroite à la limite du préjugé, qui suivait le reste des accusations. De l’impolitesse certes, mais bienveillante! L’idée n’était clairement pas de s’acharner sur son côté intello.

❝Bon déjà, si j’dois t’aider, va falloir que t’arrêtes de me vouvoyer. Tu t’en sens capable? C’est avec un petit sourire taquin qu’il termina sa phrase. Ce n’est pas que son vis-à-vis semblait timide, mais si. Vraiment trop timide pour ne pas que ça se voit. ❝Et si tu te sens d’humeur à faire des folies, j’peux même te proposer de m’appeller Felix! A croire qu’il ne pouvait pas arrêter là sa boutade. Enfin, il essayait plus qu’autre chose de briser la glace et détendre autant que possible son client.

Le vendeur récupéra un livre sur l’étagère, un ouvrage sympa pour les débutants. Rien de bien farfelu, une simple initiation au questionnement intérieur. ❝T’en auras peut-être pas besoin, mais je me vois pas te proposer de te plonger dans la lithothérapie ou les rituels là tout de suite, même si j’en meurs d’envie! C’est sûr que ce genre de thérapie s’est déjà révélé particulièrement efficace sur d’autres, mais il faut au moins savoir un peu de quoi il s’agit avant… et décidément, vu la tronche qu’on lui sert actuellement, ça ne doit pas vraiment être le cas. ❝T’as un peu de temps devant toi? J’peux te faire un tirage si ça te dit, en plus la première séance est gratuite! C’était indiquer sur la vitrine, mais dans le doute.